LA ZONE D’ALERTE d’ISTRES

Par Gilbert Béziat, pistard en ERV

Chaque escadron possède en plus de son parking en ZTO, deux autres parkings à chaque bout de piste, appelés ZA Sud et ZA Nord, utilisables en fonction des vents dominants.
La ZA Sud, la plus souvent exploitée à Istres, comprend une aire de stationnement pour le C135F et un demi-tonneau enterré avec porte blindée pour le Mirage IV équipé de sa bombe atomique.
Chaque ZA est entourée de 3 barrières de barbelés dont une électrifiée et d’un poste de garde avec sas de sécurité. Un groupe de commandos de l’air veille sur l’ensemble.
Les équipages et les mécaniciens vivent sur place 24h/24.
Sont présents : un équipage C135F avec 2 mécanos – un équipage Mirage IV avec 4 mécanos – un mécanicien du DAMS responsable du conditionnement de la bombe et un gendarme qui « la » surveille inlassablement.
Accompagnent ce personnel un sous officier « cuistot » et un homme du rang qui s’occupent des repas.
Les journées se passent dans la salle commune ou chacun à loisir peut se détendre, lire, regarder la télé et jouer à d’interminables parties de Yams ou de Tarots.
A l’extérieur, un terrain de volley-ball et toute la surface de la zone pour jouer à la pétanque, sont à notre disposition.
Les journées s’étirent au rythme des check-lists avion, des points fixes d’entretien avion et groupes de démarrage (électrique et à air). Le plus dur reste les alertes hivernales qui nous obligent, en fonction de la température extérieure, au réchauffage des 670 USG d’eau déminéralisée que l’on doit maintenir à +15,6°C de jour comme de nuit.
Le matin est réservé aux tests d’alertes en relation directe avec Taverny.
Le C135F est en DO MAX (pleins Kérosène + eau déminéralisée) et cartouche de démarrage sur GTR4.


Aujourd’hui il y a du remue-ménage dans l’air car nous sommes en « Evaluation ».
Tout le monde est sur le pied de guerre, un peu fébrile. Nous sommes aux ordres, en attente de montée en puissance, les yeux rivés sur les tableaux d’alarmes.
A15……..A5……Soudain le klaxon de « Décollage immédiat » retentit dans toute la ZA.
Equipages et mécaniciens se précipitent, qui vers l’intérieur du ½ tonneau, qui vers le parking extérieur.
Les évaluateurs sont là, observant tout le déroulement des opérations qui doivent se faire en un temps record avec un maximum de sécurité, conformément aux consignes.
Le portail automatique s’ouvre sur le bout de piste.
Dans mon rôle de « crew-chief », je me précipite sur le casque d’écoute qui me relie à la cabine de pilotage et je prends place face au réacteur N°4.
Mon coéquipier met en route les groupes électrique et à air, avant de prendre en main l’extincteur roulant.
L’équipage s’engouffre dans l’appareil par l’échelle de la « crew entry door » : pilote, co-pilote, navigateur et ORV.
Le pilote m’annonce : « Démarrage cartouche ! » Instantanément la cartouche est mise à feu, dégageant à l’extérieur la fumée acre et nauséabonde de son propulseur solide.
« Rotation GTR 4 – Allumage – Ouverture bleed !! »
C’est le signal pour pousser ce réacteur à sa puissance maxi permettant ainsi l’alimentation en air des 3 autres moteurs.
« Rotation GTR3 ! – Rotation GTR2 ! Allumage GTR3 ! Allumage GTR2 ! Ouvertures bleeds 2 et 3 ........Pas de rotation GTR1 !!!! »
…………………………………….La tuile !! Non pas aujourd’hui !!!
Deux solutions s’offrent à moi :
1- annulation de la mission, ce qui, un jour d’évaluation est d’un assez mauvais effet,
2- faire face à cette panne, qui fait partie des aléas connus par tout bon mécanicien qui se respecte.
J’opte pour la 2° solution !
Aidé de mon coéquipier nous ouvrons les « sauterelles » des capots moteurs, et pendant qu’il les entrouvre, je me glisse sous le moteur. A l’aide de mon manche de tournevis, toujours dans la poche latérale droite de mon pantalon, je frappe un grand coup sur la vanne de commande d’air qui alimente le démarreur.
Je hurle dans mon micro : « Nouvel essai GTR1 !! »
Le GTR4 repart à pleine puissance.

 

« Euréka !!Les ailettes frémissent……le GTR 1 débute sa rotation…….allumage……ouverture bleed !! »
Je débranche le cordon de mon casque, ferme la prise radio.
« Cales enlevées, abords dégagés ! »
Je pars en courant sur la gauche de l’appareil pour être aperçu par le pilote. Mon coéquipier s’est posté à l’avant de l’appareil avec, en main, les palettes au rouge. Je lève mon pouce à l’adresse du pilote, les palettes virent au jaune. Les 4 réacteurs crachent toute leur puissance de 20 tonnes, arrachant les 130 tonnes de l’appareil qui bondit hors de la zone.
Il franchit le portail, s’aligne en bout de piste et dans un même élan s’élance dans l’axe. L’injection d’eau est enclenchée, les tuyères vomissent leurs fumées noirâtres caractéristiques……..le simulacre de décollage est réussi…..MISSION ACCOMPLIE !!!
Lors du « débriefing », je serai légèrement réprimandé pour mon « audace positive », mais comme me le dira l’équipage : « Le but a été atteint, nous avons DECOLLE !!! »

GLOSSAIRE :
Bleed : vanne de décharge
Check-list : liste d’opérations de mise en œuvre avion
Crew-chief : chef d’équipe
Crew-entry-door : porte équipage située à l’avant gauche du nez de l’appareil