Stage remotorisation aux US
Récit proposé par Paul FOUILLAND
Mai
1985, la date de sortie de chantier de remotorisation du premier
C135F, le 736, est connue, l’état-major des forces
aériennes stratégiques (FAS) en liaison avec le
commandement de la 93ème escadre de ravitaillement en vol décide de la composition de
l’équipe de personnel navigant à envoyer en
transformation remotorisation aux Etats-Unis. Ce sont 4 pilotes, 1
navigateur et 1 opérateur de ravitaillement en vol (ORV). Les
pilotes sont 3 moniteurs de la division instruction (DI) de
l’escadron de ravitaillement en vol (ERV) 1/93 « Aunis » ;
le commandant DALMAS, le capitaine PAILLE et moi-même
(capitaine FOUILLAND), et 1 pilote de l’ERV 1/93, le capitaine
YCHE. Le navigateur est un moniteur de la DI, le lieutenant
VILLECROZE. L’ORV est un moniteur de la DI, l’adjudant
GENOT.
La première étape de cette transformation est un test d’anglais exigé par les Américains avant notre départ. Nous faisons donc fin mai un aller et retour à PARIS pour passer ce test dans une annexe de l’ambassade des ÉTATS-UNIS. Ce test est un long QCM, somme toute facile, que toute l’équipe passe sans problème.
Début juillet 1985, nous préparons notre départ, en liaison avec le lieutenant-colonel PRIGENT, détaché aux ÉTATS-UNIS pour le chantier remotorisation : tenues d’été, tenues de vol, tenues civiles décontractées … et surtout caisses de vin blanc et rosé pour fêter dignement les vendredis soir (les « TGIF »). La transformation a lieu sur la base aérienne de Mc CONNELL qui jouxte la ville de WICHITA, plus grande ville du KANSAS. Cette base réunit sur un même site la partie opérationnelle avec la 384ème escadre de ravitaillement en vol (1ère escadre dotée de KC135 R dès 1984) à l’est de la piste et la partie industrielle avec le Boeing Modification Center où a lieu le chantier de remotorisation à l’ouest de la piste.
Le départ a lieu le 17 juillet 1985. Nous embarquons à bord du C135 F N°472, le fameux « Casse-C.…. » (immatriculation FUKCC) piloté par un équipage de l’ERV 2/93 « Sologne » (commandant d’avion : commandant BALME) pour rejoindre la base aérienne de Mc CONNELL après une escale à LORING. A l‘arrivée, nous sommes accueillis par quelques membres de l’équipe qui effectuera notre transformation et le lieutenant-colonel PRIGENT. Après toutes les formalités (carte d’identité militaire temporaire, laisser-passer...) nous rejoignons notre hôtel au centre de WICHITA.
La transformation débute le lendemain matin : les horaires de travail sont de 8h00 à 16h00 sans pause méridienne. Nos moniteurs sont tous des « chibanes » du KC 135 appartenant à une structure équivalente à la DI. Pendant deux semaines, nous suivons des cours en salle relatifs aux réacteurs CFM 56 et aux équipements liés à la remotorisation, description puis exploitation du Dash One (document technique destiné aux équipages), et relatifs au calcul des performances. En ce qui concerne les performances au décollage, ça se complique. Finis les décollages systématiques à la puissance maximale (TRT Take-off Rated Trust), nous découvrons les choix offerts par les nouveaux réacteurs (puissance max, puissance mini, puissance adaptée fonction de la longueur de piste utilisable, puissance adaptée fonction du survol des obstacles dans la trouée d’envol). Suivent ensuite les séances de simulateur de vol. Nos premières impressions sont positives : pas de différences fondamentales et même un pilotage plus facile que le C135F. Le simulateur est très performant et après avoir astiqué l’ILS en piste 19 Gauche à Mc CONNELL dans toutes les configurations, je me souviens avoir réalisé un ILS en 2 réacteurs à HONG KONG et une barrique en altitude. Dès les premières séances de simulateurs, nous observons un net changement de considération de la part de nos homologues américains. Ils sont surpris de constater notre aisance à piloter ce cher C135 qu’ils pensaient être les seuls à vraiment dominer.
Début août, le 736 est en fin de chantier de remotorisation et nous sommes conviés à aller le voir chez Boeing. Il a fière allure ! Nous constatons juste que le boitier de commande du pilote automatique (PA) n’est pas le bon car il manque la fonction de guidage INS spécifique des PA français. Le boitier français sera retrouvé et changé dans la foulée.
Avant le premier vol, un fait nous a marqués et deux anecdotes me reviennent en mémoire.
Le fait marquant est l’efficacité et la sureté du filtrage le matin à 8h00 à l’entrée de la base. Le flux très important des véhicules personnels est réparti en trois files chacune contrôlé uniquement à vue par un policier militaire. Si la personne est connue, elle passe sans avoir à montrer le moindre laisser-passer, si elle n’est pas reconnue elle doit passer par une autre file sur la droite où l’on contrôle sa carte d’identité militaire et son laisser-passer véhicule. Nous avons dû emprunter la file droite de contrôle les deux premiers jours. En revanche, dès le troisième, les policiers à la mémoire visuelle étonnante nous ont reconnus et nous sommes restés dans les files rapides.
La première anecdote est une arrestation comme dans les films par la police militaire. Un matin où nous allions au simulateur, j’étais au volant et j’ai dépassé la limitation de vitesse de 30 miles/h sur la base. Une voiture de police tous feux allumés et toutes sirènes hurlantes nous a arrêtés. J’ai dû descendre de la voiture, mettre les mains sur le toit avec les jambes écartées. La combinaison de vol française a intrigué et calmé les ardeurs des policiers. Je m’en suis tiré avec un petit sermon sur le respect impératif des vitesses contrôlées en plusieurs endroits par des policiers équipés de speed guns.
La seconde anecdote est relative à l’efficacité des services médicaux américains. Avec les climatiseurs réglés vraiment froids dans les salles de cours et à l’hôtel, j’ai attrapé un gros mal de gorge avec de la fièvre trois jours avant l’échéance tant attendue du premier vol. Dès la fin des cours, je suis allé au service médical de la base où le médecin a diagnostiqué une bonne angine. Il m’a ensuite dirigé vers la salle de soins où une infirmière est venue avec une énorme seringue remplie de pénicilline qu’elle m’a injecté en intramusculaire. Rentré à l’hôtel vers 17h30, je suis tombé comme une masse et ai sombré dans un profond sommeil. Le lendemain matin, je me suis réveillé comme une fleur : plus d’angine mais une belle douleur à la fesse droite.
Le premier vol a lieu le 7 août matin. C’est un vol d’entrainement pilote (Zoulou Pil) où chacun d’entre nous effectue une percée ILS et un tour de piste. Le commandant d’avion est le capitaine (USAF) PEREZ, sa durée est de 3h10 et nous effectuons 11 atterrissages. Nous sommes impressionnés par l’accélération au décollage mais pour le reste nous ne ressentons aucune difficulté : l’avion est même plus facile à piloter que le simulateur en particulier à l’atterrissage.
Nous poursuivons les cours dans les jours qui suivent et les mécaniciens qui venaient de finir leur stage de transformation, également à Mc CONNELL, nous rejoignent. Le stage se termine le 12 août par une petite cérémonie avec remise de diplôme par le commandant de la 384ème escadre de ravitaillement en vol.
Le 13 août au soir nous décollons pour un vol retour direct à ISTRES (durée 10H00, 5h30 de nuit, 4h30 de jour). Les capitaines PAILLE et YCHE sont aux commandes les cinq premières heures et le commandant DALMAS et moi pour les cinq dernières. Après ce premier atterrissage d’un C135FR en FRANCE, nous roulons et nous garons en ZTO où un comité d’accueil, le colonel GRESSÉ commandant de base et le lieutenant-colonel SAUCLES commandant d’escadre en tête, nous attend. Surprise, après l’arrêt de l’appareil, le mécanicien sol ne se branche pas comme d’habitude mais attend la coupure des réacteurs pour le faire. Quand on lui demande pourquoi, il nous répond qu’il y a un fort risque d’aspiration avec les nouveaux moteurs et que plusieurs mécaniciens américains ont été aspirés dans le fan. Une formule circulait à l’époque en piste : « les CFM aspirent un mammouth à 20 mètres ».
Le 3 septembre 1985, toujours en équipage avec le commandant DALMAS, nous effectuons un vol de ravitaillement au centre de la France (X 303) avec le général d’armée aérienne CAPILLON, chef d’état-major de l’armée de l’air. Puis pendant un an, les C135 FR sont, au fur et à mesure de leur arrivée, restés à ISTRES et nous avons transformé FR tous les équipages de l’ERV 1/93. En septembre 1986, nous avons transformé l’ERV 3/93 « Landes » et en décembre l’ERV 2/93 « Sologne ».