DÉCOLLAGE LOURD SUR C135 F
Réacteurs P&W J57P59W, avec injection d'eau
Par Pierre Nigay, navigateur.
Je voudrais conter à ces beaux jeunes gens du GRV 02.091 Bretagne , nos successeurs ,qui ont la chance de voler sur C135FR et bientôt sur A330 MRTT , ce que contenaient d'émotion les décollages de nos superbes avions équipés de moteurs P&W J57P59W si peu suffisants qu'il fallut leur adjoindre une injection d'eau (déminéralisée) ,indispensable pour atteindre les fameux 250kt lors du palier d'accélération après le décollage.
Je me souviens d'un exercice Poker où nous eûmes l'honneur de mettre en l'air un avion au plein de guerre , avec la dérogation accordée par le Général . On a d'abord relu deux fois l'Ordre d'Opération ,18,5Z ,pas de doute ….puis levé les yeux sur le grand tableau du chef Ops . Un mois d'août ,les congés , le chef Ops pris par sa fonction , à l'évidence ce sera pour Mozart 14 et Mozart 14 c'est nous! L'équipage Delmar A l'époque , on fonctionne selon le principe des équipages constitués ,ça vient de l'alerte à 15 en ZA pour une semaine et c'est bien pratique pour l'instruction et l'obtention de bons résultats à l'Evaluation ,marqueur important de la Dissuasion .
On se consacre d'abord à la préparation de la mission («une mission bien préparée est à moitié exécutée») . La situation météo ne fait rien pour nous aider : un anticyclone , un vent variable faible ,une tempé vers 30°C . Les Take-Off Data sont formels : ça passe , donc on va le faire! Un gros souci cependant : au bout de la piste 27 , la plus longue à cause du POR appelé « la piste du colonel» , il y a une parcelle de pins de trente ans déjà hauts dressés bien droit qui barrent l'horizon . A franchir sans bûcheronner au passage.
La montée en puissance et ses phases d'alerte se succèdent , les missions et les avions sont prêts , le «bilou bilou » de l'ordre de décollage immédiat nous libère enfin . Course jusqu'à l'avion ,l'échelle chacun son tour , on s'installe , la cartouche du moteur n°4 explose , le réacteur , poussé à fond ,hurle et envoie tout l'air qu'il peut vers les trois autres qui démarrent . S'en suit un moment de calme relatif puis se succèdent les items des check-lists et les contacts radio Le premier avion décolle , à nous maintenant . Depuis l'OPO , guy Naillon , notre chef OPS nous conseille la piste 27 vu le vent et jacques Delmar notre PCA est d'accord . Aligner l'avion , vérifier les volets sur 30° , se redire les données essentielles , envoyer l'eau et vérifier les alternateurs , mettre la puissance ... et attendre … et c'est long . La vitesse de décision franchie , le décollage reste la seule solution et l'on cherche la vitesse de rotatio aujourd'hui de 174kt .Voilà déjà le bout de la piste et il en manque au badin .Le copilote , jean-michel Cotte-Verdi ,en transformation .habitué aux avions pointus , trouve la situation préoccupante et frappe du talon le plancher qui résonne . Le chef :«Il reste la piste du colonel!» . Nous roulons sur ses plaques de béton mal jointes , la vitesse augmente et VROT arrive enfin ! Nez en l'air ,vario positif le train rentre , mais on a roulé loin et les pins sont proches maintenant . Bien cabré , dans l'air remué par le décollage précédent , l'avion annonce sa désapprobation , glisse sur l'aile droite , revient au centre puis compense du même mouvement à gauche et revient dans l'axe .Tout ça très vite , pas le temps de devenir humide ! Le chef :«T'as vu , il a bougé» .Nous passons le haut des pins sans toucher . A 500 pieds , mise en palier d'accélération , pas d'obstacle devant avant la statue de la Liberté , et il faudra avoir au moins 250Kt à la fin de l'injection d'eau , condition indispensable pour poursuivre l'accélération et commencer la montée . Sinon , demi-tour , ressortir les volets , délester l'avion et se reposer .
L'Approche :« vous entrez dans les zones de DAX ». Le chef : «Prévenez-les , on n'a pas la vitesse , on ne peut pas manœuvrer ».Ils ont dû le faire car on a vu personne L'orv Bonvarlet , annonce :«30 secondes injection d'eau ». Un œil à la vitesse , 245 Kt , c'est gagné ! Voilà les 250 , l'eau coupe sur les moteurs extérieurs puis sur les intérieurs , le bruits diminue et comme la vitesse augmente , glisse vers l'arrière de l'avion . Nous commençons la montée vers le point de sortie , soulagés d'avoir fait le plus dur . La suite est bien connue et facile .
En fait , tout s'est déroulé comme écrit dans le livre , pas un exploit mais du travail bien fait. Et dire que de nos jours , le navigateur ne met ses affaires sur sa table qu'une fois en l'air pour ne pas aller chercher ses chers outils au fond du cargo , évacués par l'accélération lors de la course du décollage !
Pierre Nigay , navigateur.