90eme ERV à Istres et ERV 4/94 " Sologne " à Avord.
Entrainement. Missions au Pacifique (Tirs nucléaires)

Par Jean HOUBEN

90 e Escadre à Istres.

À Istres, la vie de la 90 e Escadre s'organisait sous les ordres du Lcl Guillou :

- préparation de la prise d'alerte, qui a débuté en ……….

- exécution des missions d'entrainement au profit des FAS,

- instruction des nouveaux équipages à former en France (cours au sol et instruction en vol),

- participation aux convoyages entre Seattle et Istres.

 

Le Lcl Guillou (DR)

La prise d'alerte.

À Istres, la zone d'alerte (ZA) était située à l'extrémité sud de la piste. Dans une enceinte sécurisée : l'abri du Mirage IV , une plate-forme pour le stationnement du C135 et un local où étaient hébergés les équipages et les mécaniciens des deux appareils, qui vivaient ainsi en communauté durant plusieurs jours, par périodes de 3 ou de 4 jours avec relève le vendredi et le lundi.

En général, nous étions en alerte à 15 min. Parfois, des exercices déclenchés inopinément pour le seul C135 nous imposaient de décoller en moins de 5 Min à partir de la salle d'OPS de la ZA. L'avion était en permanence cocked, ce qui signifie que toutes les vérifications avaient été exécutées, les équipements réglés et qu'il suffisait de brancher la batterie pour réveiller instantanément tous les systèmes de l'avion. Restait alors à lancer les réacteurs, à se "brêler " et à se ruer vers la piste. 

Les missions d'entrainement.

Elles étaient de trois types :

- Whisky: C'était en quelque sorte la répétition d'une mission réelle, surtout pour les Mirage IV ,que nous devions ravitailler deux fois, à l'aller puis au retour après le bombardement qu'ils effectuaient soit en supersonique à haute altitude, soit après le suivi d'un itinéraire effectué à basse altitude dans des zones réservées, les zones Romeo , par un tir à Captieux.

- X Ray: Nous devions orbiter sur l'un des axes de ravitaillement qui avaient été définis dans l'espace aérien national. Toutes les 30 minutes environ nous recevions un Mirage IV pour le ravitailler.

Anecdote : cette nuit là, notre C135F devait faire la "station service" pour plusieurs MIRAGE IV, sur un axe de ravitaillement en vol situé dans les environs de Tarbes.

 

Le plein du premier vient d'être effectué et le suivant ne viendra que dans trente minutes. Nous nous mettons en attente sur les Landes. La nuit est magnifique et le copi nous a trouvé de la musique sur le radiocompas. Bref moment de quiétude…

Nous sommes brusquement ramenés à la réalité : une vive lueur, provoquée par un arc électrique, éclaire la cabine et des étincelles jaillissent de l'arrière du tableau des breakers (1) .

 

 

L'évènement étant survenu à 30 cm de sa tête, le boom coupe immédiatement le breaker d'où semble venir l'incident. Nous effectuons ensuite la check-list prévue en cas de feu d'origine électrique.

L'incident parait maitrisé mais, par sécurité, je décide de nous dérouter sur Cazaux, dont nous sommes très proches, et où nous nous posons quelques minutes plus tard.

Dépannage le lendemain. L'enquête technique devait révéler qu'à cet endroit, le constructeur avait réalisé une liaison (cosse, boulon, écrou, rondelles) constituée de quatre alliages différents. L'humidité et la corrosion avaient fait le reste.

- Yankee: Entrainement à la navigation au profit des navigateurs et des booms.

Je me souviens d'une Yankee , alors que j'étais à Avord. Pendant ce type de vol, nous avions l'habitude d'emmener quelques passagers (mécaniciens, contrôleurs, pompiers…etc.) afin qu'ils connaissent nos missions, nos contraintes, et pour les motiver.

Certains itinéraires, tel celui effectué ce jour là où nous avons viré à proximité de l'île de Jan Mayen, permettait au navigateur de travailler en navigation-grille, technique utilisée dans certaines circonstances, dans les très hautes latitudes en particulier.

Le lendemain de cette mission, je suis abordé sur la base par l'un de mes passagers qui me dit : « Je ne comprends pas, comment est-il possible que nous ayons vu plusieurs fois le jour et la nuit dans un seul vol ? » Je lui expliquai que c'était très simple : nous avions décollé d'Avord à la tombée de la nuit. Étant au mois de juin, nous avons retrouvé le jour dans le nord de l'Écosse, jour que nous avons gardé jusqu'au 70° nord puis sur le chemin au retour. Nous avons retrouvé la nuit en atteignant les Hébrides et nous sommes posés à Avord au lever du jour.

S'il avait effectué ce même vol en hiver, nous lui aurions montré des aurores boréales.

- Zoulou : tout vol n'entrant pas dans l'une des catégories précédentes tel que : essai avion, vol de liaison, entrainement pilote sur terrain extérieur (approches ILS en particulier, Istres n'en étant pas équipé à cette époque).

  Instruction des nouveaux équipages.

Dès leur retour en France, pilotes, navigateurs, ORV reçurent d'emblée le titre de"moniteurs" et prirent en compte, tant sur le plan théorique que pratique, la formation des équipages nouvellement recrutés.

Ainsi, j'ai été amené, à donner des cours sur l'appareil, ses pannes et manœuvres de secours, son utilisation, en particulier dans le cadre des missions que nous allions avoir à exécuter. Par ailleurs, des cours particuliers étaient donnés aux navigateurs et aux ORV par leurs homologues instructeurs.

 

Un certain nombre d'heures était consacré à l'étude des courbes du Dash One (2)  en particulier :

- calcul des éléments pour le décollage ( take-off data)

- préparation du suivi carburant pour la montée, la croisière et le ravitaillement
en vol,

J'étais en outre l'un des moniteurs pilote, occupant le siège de droite dans les phases critiques du vol, ce qui n'était pas toujours confortable, comme ce jour où je suivais l'entrainement d'un pilote en fin de transformation.

Au cours du décollage, et peu avant la rotation, je vois le volant du trim de profondeur se dérouler à toute vitesse vers l'avant. Je coupe immédiatement le contact électrique correspondant (voir photo).

Le pilote en place gauche portait des gants manifestement trop grands pour lui et un bourrelet s'était formé à l'avant de sa main gauche, bourrelet qui avait actionné la commande de trim située en haut de son volant (3)

 

 

Imaginant que nous ne devions pas être très loin du "plein piqué", j'aide le pilote à décoller. Le nez était lourd, vraiment très lourd.

Rentrée du train puis des volets et début de la montée. Maintenant, il faut faire quelque chose pour se sortir de ce mauvais pas.

Je rebranche momentanément le contact du trim mais rien ne bouge, l'effort sur le vérin est réellement trop important.

Je cabre l'avion à 30° et, en relâchant la pression, le trim fonctionne correctement.

Je répète trois fois la manœuvre et tout rentre dans l'ordre.

Nous effectuons normalement la mission mais après l'atterrissage, le pilote a été invité à passer au magasin d'habillement pour s'équiper correctement.

Plus tard, mon camarade Claude Brunet comme moi pilote de C135, m'a fait remarquer que, si nous nous étions répandus au-delà de la fin de bande, personne n'aurait jamais compris ce qui s'était passé. Jamais on n'aurait imaginé qu'un simple gant (détruit) pouvait être à l'origine d'une telle catastrophe.

Bien sûr, dans les débris de l'avion, on aurait trouvé le plan fixe réglé exagérément " à piquer " et on aurait conclu à un déroulement intempestif du trim pour une raison indéterminée.

Peut-être aurait-on arrêté de vol les C135F, le temps de vérifier les circuits électriques concernés ?

Les convoyages des C135F neufs des USA vers la France.

Les 12 appareils nous furent livrés à Boeing Field entre février et septembre 1964.

Ces convoyages avaient lieu de la façon suivante :

- l'équipage n était responsable du vol,

- l'équipage n+1 participait au vol comme observateur.

Nous rejoignons Seattle plusieurs jours avant le départ. À l'aéroport de Tacoma, nous sommes accueillis par l'officier de liaison de l'Armée de l'air, qui nous emmène à notre hôtel et nous remet les clés de la voiture que Boeing met à notre disposition durant notre séjour. Pour compléter les pleins, nous devions nous rendre à une pompe réservée aux seuls véhicules de la compagnie, installée à l'extérieur de l'enceinte de l'usine, isolée et sans gardien ! Après le remplissage du réservoir, on inscrivait simplement le n° d'immatriculation du véhicule sur une planchette. É tonnement compréhensible des Français face à une telle marque de confiance.

On nous fait visiter l'usine voisine de Renton où sont assemblés tous les avions Boeing. Partout, des gyrophares en fonctionnement. À ma question «  Pourquoi ? » on me répond «  Parce qu'il y a des étrangers en visite ».

 

Boeing Field. Il est tout neuf, il nous attend (DR)

Le vol retour comporte une escale à Larson AFB, la piste de Boeing-Field ne permettant pas de décoller avec un plein de carburant permettant la traversée.

Pour cette courte étape, un pilote du SAC nous accompagne (ultime contrôle ?)

Je me souviens qu'à l'atterrissage, je ne disposais que de la moitié gauche de la piste, la partie droite étant en travaux. Ce n'était vraiment pas très large mais l'entrainement suivi nous avait préparés à toutes sortes d'éventualités.

Larson se trouve à proximité de Moses Lake, dans l'est de l'état de Washington. Nous y passons une journée et sommes accostés par de nombreuses épouses françaises de militaires américains ainsi que par leurs enfants. Il faut dire que, du fait de la présence de bases US en France pendant plusieurs années, leurs occupants avaient largement eu le temps de nous " piquer des filles " .

Le décollage avait lieu le soir, l'essentiel du trajet étant effectué de nuit (navigation astro oblige). Nous rejoignions l'ouest de l'Irlande au lever du jour et nous posions à Istres en début de matinée. Pour la première fois, nous étions seuls à bord.

Mon équipage a participé à un vol de reconnaissance les 5/6 avril 1964, avec l'équipage Lombard, sur le 474.

Notre convoyage s'est effectué les 7/8 juill1964 sur le 735.

Par la suite, mon camarade Marcille ayant eu la bonne idée de tomber malade au mauvais moment, je me suis dévoué pour le remplacer avec les autres membres de son équipage (Chenu, Girard, Buard) pour convoyer le 739 les 8/9 septembre 1964.

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ERV 4/94 Avord

Je devais quitter Istres en juin 1966 pour rejoindre Avord, où venait d'être créé l'ERV 4/94 " Sologne " . Je fus second, puis commandant de l'escadron.

Compte tenu de ce tout que nous avions appris à Istres, notre installation sur cette nouvelle base fut facile et le 30 juin nous prenions l'alerte dans une ZA toute neuve.

Les missions étaient les mêmes qu'à Istres, sauf que nous n'avions pas la charge de l'instruction des nouveaux équipages.

Participation aux essais nucléaires du Pacifique.

À partir de 1965, nouvelle mission pour les C135F des FAS : participation aux essais nucléaires du Pacifique.

Les tirs étaient effectués à partir de Mururoa ou de Fangataufa, d'abord sur des barges puis, par la suite, sous des ballons. Plus tard, ces tirs, ne nécessitant plus la participation de nos appareils, seront réalisés dans des puits forés dans le socle des atolls.

Les voyages de mise en place et de retour vers la métropole, utilisant différents itinéraires, ont permis au personnel de s'entrainer à la navigation à longue distance, expérience qui faisait défaut à la plus grande partie des membres d'équipage.

En ce qui me concerne, j'ai participé à deux missions qui m'ont amené sur les terrains suivants :

- en août 1965 : Istres, Pointe à Pitre, Lima, Papeete, Nouméa, Darwin, Singapour, Djibouti, Istres

- en septembre 1966 : Avord, Orly, Los Angeles, Papeete, Hao, Pointe à Pitre, Istres, Avord.
En Polynésie (et à part le convoyage des Mirage IV de l'opération Tamouré en juillet 1966) notre mission était essentiellement la mesure des vents en altitude.

À l'époque, il avait été nécessaire de parfaire la connaissance des courants dans la haute atmosphère de l'hémisphère sud, très fragmentaire pour cette partie du Pacifique. Ultérieurement, des vols de poursuite du nuage ont également été effectués.

Le C135F était particulièrement bien adapté à cette mission puisqu'il était, à cette époque, à peu près le seul équipé d'un doppler, équipement permettant de mesurer la dérive et la vitesse sol. Affichés sur le computeur du navigateur, ainsi que le cap et la vitesse propre, ces éléments permettaient de restituer le vent. Un calcul était effectué toutes les 6 minutes et les résultats communiqués par HF au croiseur DE GRASSE pour être entrés dans le calculateur de prédiction des retombées. La charge de travail n'étant pas négligeable, nous étions aidés par des techniciens de la Météorologie et de la Marine nationale, à qui nous avions fait une place dans le cockpit où ils utilisaient l'un de nos deux postes HF pour leurs transmissions.

Les missions étaient de deux types :

- 7 jours avant un tir prévu, la mission Fox :

- montée à 35.000 ft cap à l'Ouest pendant deux heures,

- cap Sud pendant une heure,

- cap Est pendant une heure puis retour à Papeete.

- 3 jours avant le tir, et en plus de la mission Fox , une mission Hôtel :

- à partir du champ de tir, cap à l'Est à 20.000 pieds pendant une heure,

- descente à 10.000 ft

- retour vers le site puis remontée à 20.000 ft et nouveau circuit.

Souvenir d'une mission : le 3 octobre 1966, je suis mis en alerte avec mon équipage : décollage prévu vers 17 h pour une mission Hôtel supplémentaire, le PC souhaitant effectuer au plus vite le dernier tir de la campagne. En fait, notre décollage est reporté à plusieurs reprises, nous imposant à chaque fois de passer en alerte renforcée puis de rompre l'alerte. Finalement, nous n'avons décollé que vers trois heures du matin.

Arrivés à la verticale de Mururoa, nous entamons les aller/retour prévus. Parfois, à mi-course, nous croisons un C135 de l'USAF (avec une écope sur le dos) qui, lui, fait le même circuit mais nord/sud.

Les aller/retour s'enchainent et nous ressentons la fatigue de ces passages successifs en alerte. En fait, nous sommes tous crevés et, pourtant, il y a seulement 7 heures que nous sommes en l'air !

À un moment, le DE GRASSE nous demande combien de circuits nous sommes encore en mesure d'effectuer. Calculs puis, notre réponse : deux en rentrant à Papeete, trois en nous déroutant sur Hao.

Le temps passe puis, appel du DE GRASSE  : « C'est bon, tirez-vous ». Pas fâchés, nous prenons le cap de retour.

Ayant entendu sur la fréquence de guidage des Vautour-PP « Flash aperçu, enlevez les rideaux » je vire et nous découvrons le champignon de SIRIUS première bombe H (ou thermonucléaire) française. Sa puissance a été estimée à une mégatonne, soit l'équivalant d' un million de tonnes de trinitrotoluène (TNT). Le tir a eu lieu sur barge.

Nous nous posons à Papeete après 9 h 20 de vol.

   

Le champignon de SIRIUS à son début. (DR)

La fin…

Un jour, quelqu'un en haut lieu s'est étonné que je n'aie jamais été en É tat-major. Résultat, je suis affecté à Taverny pour deux années avant de quitter les FAS en juillet 1970.

Mais je retrouverai le C135F en 1972 à Mont de Marsan où je devais terminer ma carrière. En reconnaissance de ma contribution passée, l' É tat-major des FAS, dans sa grande bonté, m'avait autorisé à effectuer périodiquement quelques vols sur cette machine.

Le 4 février 1976, j'effectuais mon dernier vol sur C135F.

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(1) Breakers : disjoncteurs

(2) Dash One : manuel de vol

(3) Une protection a été installée depuis (voir photo)