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MISSION VIP Rio de Janeiro du 01/11/1978 au 04/11/1978
Nous décollons d’Istres en cette matinée du 01/11/1978, destination Rio de Janeiro via Dakar. Notre C135F N°737 à été équipé en configuration VIP car nous transportons le Général d’Etat Major Saint-CRICQ et son épouse dans le cadre de relations militaires entre la France et le Brésil.
La mission se compose de 2 équipages, 5 mécaniciens et 2 cuisiniers. Le Lcl DUMAS est chef de mission, je suis SGC, chef de l’équipe de mécaniciens.
L’appareil VIP comprend 2 chambres, 1 bureau et une salle à manger privée, séparés par des cloisons fixes et protégés des regards par des rideaux coulissants.
L’arrière du cargo est aménagé en cuisine et salle équipage - mécaniciens car nous avons à bord un « maître queue » pour servir à tous de succulents repas. Tous les mets ont été chargés en container et seront apprêtés à bord le moment venu sur la cuisinière électrique prévue à cet effet.
Après 5 heures et 40 minutes de vol, nous faisons escale technique à Dakar pour faire les pleins de kérosène et d’eau déminéralisée.
Il y a quelques heures que nous avons décollé de Dakar, tout est calme à bord.
Nous jouons aux tarots. Le général est aux commandes, son épouse dans la partie privée.
Je l’aperçois soudain en grande discussion avec le Lcl DUMAS. Celui-ci se dirige vers nous l’air contrarié. Il me fait un signe de la main et je le rejoins aussitôt dans la coursive.
« Etes-vous au courant que le lit du général a été fait en « portefeuille* » ? » m’interroge-t-il, l’air agacé.
Je suis sidéré.
« Non, mon colonel, mon équipe et moi-même n’avons touché à quoi que ce soit ! La configuration VIP a été montée par l’équipe spécialisée du Germas 15093, la journée avant notre départ !
- Très bien, je vous fais confiance, je règlerai le problème en temps utile. Pour l’instant, vous remettez tout en ordre, pendant que nous gardons le général en cabine ! »
En deux temps trois mouvements, nous remettons le lit en état sous l’œil amusé de Madame la générale.
Quelques 6 heures et 20 minutes plus tard, nous atterrissons à Rio de Janeiro, aéroport de Galeao. Le temps est maussade et l’atterrissage quelque peu mouvementé.
Dès l’arrêt des réacteurs, une escorte officielle vient récupérer le général et son épouse.
Mon équipe et moi-même remettons le C135F en disponibilité : mise en place des sécurités de trains AV et AR, accrochage de la béquille AR, plein kérosène et eau déminéralisée, compléments d’huile des GTR, post-flight cellule, trains et moteurs. RAS. Ces opérations prennent environ 2 heures. Nous en profitons pour mettre un peu d’ordre dans le cargo et poser les « plugs* » sur les 4 GTR. |
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Les opérations de maintenance terminées, un tracteur de piste de l’aéroport nous transfère sur une place de parking légèrement en retrait du trafic civil.
Il s’agit en effet de mesures de précautions pour protéger un appareil des FAS stationné sur un aéroport civil étranger.
Une fois en place, nous verrouillons toutes les issues, remontons l’échelle équipage et fermons à clé la « crew entry door ».
Des commandos de l’armée brésilienne se mettent en place pour sécuriser la zone.
Un bus nous attend pour nous emmener à l’hôtel. Nous avons une bonne journée et demie de repos devant nous pour jouer les touristes !!!
Copacabana, le christ du Corcovado, le pain de sucre, les favelas, nous emplissons nos yeux et nos pellicules photos !!!!
Mais tout rêve se termine et nous repartons bientôt vers Dakar après une nuit de repos plutôt courte !!
Le vol de retour est calme et lorsque la piste de Dakar-Léopold Sédar Senghor apparaît, un soleil de plomb crée un mirage chaud, cette impression d'une flaque d'eau lointaine qui remplace le bitume.
L’approche nous ballotte un peu, le toucher de roues est un peu rude, mais l’habitude aidant, finalement, rien de bien grave.
Demi - tour en bout de piste, remontée du « taxi way », l’appareil se dirige vers la zone militaire de la BA 160 de Ouakam.
Nous sommes attendus par une horde d’officiers et de mécanos car un 2ème C135F N° 471 est en mission au Sénégal dans le cadre de l’opération « Tacaud » qui se déroule au Tchad.
Notre appareil se gare aux ordres du « paletteur » de l’escale, s’immobilise, l’équipage pousse ses 4 réacteurs à 75% et les coupe. Le silence qui nous entoure soudain à l’intérieur du cargo semble irréel.
L’ORV ouvre la « crew entry door », met en place l’échelle équipage et je suis le premier à poser le pied sur le « tarmac ».
Comme poussé par une main invisible, je me dirige vers le GTR 2 car une odeur nauséabonde de chair et de sang vient de frapper mes narines.
La force de l’habitude me laisse entrevoir le pire qui se confirme dès que j’atteins l’entrée d’air du réacteur. Alors que les 3 autres moteurs sont encore en auto - rotation, le GTR 2 est bloqué, le cône d’entrée cogné, en piteux état, plein de sang et les ailettes remplies de plumes et de chair broyées. Nous avons percuté un volatile (en l’occurrence une aigrette) et sans ambiguïté, le GTR est Hors Service.
Je me précipite vers le Lcl DUMAS qui vient juste de sortir de l’appareil, intrigué par l’attroupement qui s’est formé autour de moi.
« Mon colonel, nous avons eu une collision volatile !! »
« M…. ! On a rien senti à l’attéro, les paramètres étaient normaux jusqu’à l’arrêt des moteurs !!! C’est vrai que ces bestioles sont toujours là, mais je pensais qu’on les avait évitées !! »
Il ne peut que se rendre à l’évidence et part, bougon, rendre compte au général de la tournure de la mission. Ensuite, par radio, il averti les FAS de notre déconvenue.
La solution est vite trouvée : changement d’appareil, nous rentrerons avec le C135F N° 471.
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Mon équipe et moi-même mangeons un morceau sur le pouce, et pendant que l’équipe du C135 en place prend en compte notre appareil, nous transférons l’essentiel de notre cargaison : valises, lot de bord, tables, fauteuils, mais nous laissons en place la configuration VIP, trop longue à changer.
Pour cause extrême, le général et son épouse voyageront en configuration « passagers » normale.
Pendant ce temps, l’équipe en place à Dakar rentre en contact avec le Germas 15093 d’Istres pour mettre en œuvre une mission de changement GTR in situ.
Nous avons fait pour le mieux, et lorsque l’équipage revient, l’appareil est prêt pour le décollage. Aussitôt, nous attaquons la « check list ». Une heure après, l’avion est « cocké » et nous attendons le retour du général et de son épouse.
La porte cargo est restée ouverte et l’escabeau passagers est en place pour faciliter l’accès de nos hôtes.
J’ai rempli ma F11 et je suis accoudé à la rambarde de la porte cargo, regardant un peu gêné mes compagnons de l’autre C135 à qui je laisse à regret un appareil en panne et de longues heures de travail en perspective……mais c’est ainsi, mission oblige.
Le Lcl DUMAS est en place pilote, vitre coulissante ouverte, coude à l’extérieur ; il attend comme nous tous.
Alors que je suis perdu dans mes pensées, je suis interpellé par un lieutenant debout au pied de la passerelle :
« Chef, je dois rentrer en France avec vous, pourriez-vous monter ma valise !!! »
C’est un « chasseur » : combinaison de vol étroite, petit foulard, carte de navigation dans la poche transparente, poignard à la cheville et des écussons partout !!!! Le vrai de vrai, ……le pur.
Avant que je n’aie eu le temps de répondre, le Lcl DUMAS « déboule » de la cabine de pilotage et s’adresse en ces termes au lieutenant médusé :
« Lieutenant, le SCG est le responsable de mon équipe de maintenance et donc sous mes ordres, alors, si vous voulez rentrer en France, vous et votre valise, je vous conseille vivement d’embarquer sans aide !!! »
Le lieutenant balbutie un « Oui mon colonel !! » et s’exécute rapidement.
Je le soulage de sa valise en haut de la passerelle avec un léger sourire en coin et je la range avec nos bagages. Je lui indique ensuite les sièges passagers ou il prend place sans un mot.
L’étape Dakar - Istres se passe sans encombre, dans un confort spartiate…mais, à la guerre comme à la guerre !!!
Je croyais nos déboires terminés, mais c’était sans compter sur la malchance.
Nous atterrissons à Istres de nuit, à cause du retard pris à Dakar.
Le général et son épouse sont attendus par les autorités et le déchargement de leurs affaires personnelles se fait dans la hâte et dans la fébrilité.
Alors que tout semble dans l’ordre, voilà que madame la générale ne retrouve plus son nécessaire de toilette !!!!
La tuile !!!!
Nous fouillons tout le cargo, retournons tout ce qui peut l’être ….sans résultat.
Peut être l’a-t-elle oublié à Dakar ??
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Bref, les voitures s’éloignent, le parking se vide, nous terminons la mise en œuvre de l’appareil et rentrons enfin chez nous.
Il y a des missions que l’on n’oublie jamais, les bons et les mauvais moments, mais que ne serions nous pas prêts à faire pour voir Rio de Janeiro !!!
EPILOGUE : Le trousse de toilette de madame la générale fût retrouvée le lendemain dans une poubelle de l’avion et envoyée sur Paris à sa propriétaire !!!!! Mystère jamais élucidé à ce jour !!!!
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Lit en « portefeuille* » : le drap de couchage est plié en 2 vers le haut ce qui empêche de s’allonger convenablement (les anciens n’apprendront rien !!)
« Plugs* » : Caches en plastique dur rouge qui se positionnaient sur les entrées d’air et sorties GTR, sur entrées et sorties radiateurs huile, sorties bleeds, sorties démarreurs, entrées et sorties climatisation.
On mettait aussi en place des protège- sondes Pitot en cuir, reliées par un sandow.
ORV : Opérateur Ravitailleur en Vol.
Equipages : Lcl DUMAS, Cdt THIRIOT, Cne FARRET d’ASTIER, Cne ROSNET, Ltt GIBRUN, Adt VILLECROSE, Adc DAHLMANN, Sgc GENOT
Mécaniciens : Sgc BEZIAT, Sgt CAUVET, Sgt TABUTEAU, Sgc BENOIT, Adc SIMON
Cuisiniers : Adc GRIOTTO, Sgt MAGNE
(Mille excuses pour ceux que j’aurais oubliés !!!!!!!!!!!!!)
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