UNE  MISSION  METEO  EN  POLYNESIE  MOUVEMENTEE

 

La mission :

            . Départ de Mont-de-Marsan le 26 juillet 1971

              Retour le 19 août 1971

            . Avion : C135F N°735

            . Equipage        Lt Roux                   1er pilote

                                   Lt Gilet         copilote

                                   Cdt Naillon  navigateur commandant d’avion

                                 A/C Faux      ORV

 

Voyage  aller :

Le 26 juillet : Mont-de-Marsan – Plattsburg          07h45 de jour        RAS

         . Nuit à Plattsburg dans un motel près du Lac Champlain.

 

Le 27 juillet : Plattsburg – March                              05h40 de jour        RAS

            A March – début de nos ennuis.

. Au retour du mess, vers 22h, le colonel commandant la Base était présent à l’avion pour nous annoncer que nous ne pouvions pas décoller pour Papeete ce soir car nous n’avions pas d’oxygène à bord.

En effet, le mécanicien préposé au plein d’oxygène avait commis une grave faute. Il avait oublié de débrancher la citerne  à l’avion. Et en partant, ce n’est pas le tuyau de la citerne qui a lâché mais le bouchon de réservoir d’oxygène de l’avion qui a été arraché.

Impossible de traverser le Pacifique sans oxygène.

Je demande à prévenir le COFAS. Le Colonel me dit que tout est réglé, les autorités sont prévenues et que je n’ai rien à faire.

Et pour être agréable à l’équipage, le Colonel nous invite demain 28 juillet à aller visiter Disneyland Los Angeles toute la journée, tous frais payés.

. Je profite de l’incident pour signaler au Colonel que nous avons un poste HF/BLU déficient. OK, pas de problème ; vous en aurez un neuf. Mais au retour au 4/91, les administratifs me tombent dessus 

Un poste neuf et pas de fiche suiveuse ; et l’ancien comment va-t-on s’en séparer ? Je les laisse se débrouiller avec la paperasse. 1 poste neuf contre un ancien en panne, cela vaut bien une entorse au règlement…Aucune suite.

. Donc, le 29 juillet, nous sommes prêts pour Papeete. Sauf que, je dois aller au contrôle déposer un plan de vol et voir la météo. Or, mes affaires de navigation sont dans l’avion. Bah ! Ce n’est pas grave. Je dépose le plan de vol : itinéraire  pas de problème, mais le temps de vol ? Alors, devant la carte météo et devant la carte du Pacifique, avec 2 doigts écartés de la main droite, j’évalue la distance donc le temps de vol.  Et le contrôleur de s’esclaffer « It’s a new french computor ! ». Surtout, j’avais noté temps de vol 8h02 – le 02 était important pour provoquer et impressionner le contrôleur américain. Le temps de vol réel a été de 8h10 (nuit 07h10 + jour 1h). 

. Ensuite, il fallait trouver l’avion parmi les dizaines de B52 et de C135. On avait son N° de parking et le chauffeur a mis du temps avant de trouver l’emplacement. Les mécaniciens de piste nous attendaient depuis longtemps.

 

Le 29 juillet : March - Papeete

. Enfin, nous décollons pour Papeete, vers de nouvelles aventures bien plus graves qu’un bouchon de réservoir d’oxygène arraché. RAS jusqu’à Papeete.

 

Vol retour :   RAS

 

 

 

 

 

Vol  météo  du  5  août :        Panne hydraulique

 

. Au cours du vol de nuit prévu pour 9h vers le 35ème parallèle Sud, nous rencontrons de très fortes turbulences. Nous étions très certainement dans un impressionnant jet tant par les turbulences que par la vitesse sol : 1250km/h –exceptionnel !

. Nous demandons au De Grasse, navire amiral d’où venaient les ordres, d’abandonner notre trajectoire pour sortir de ces turbulences. Réponse « Non, si vous le pouvez ne modifiez pas votre plan de vol ».

. Nous obéissons. Mais, une rupture d’une canalisation hydraulique nous prive du circuit hydraulique droit. Le cisaillement de la canalisation près d’une attache avec coussinet est certainement du aux fortes turbulences.

. Position estimée au moment de la panne : 35S/150W.

 

. Nous informons le De Grasse et le contrôle de Papeete que nous interrompons la mission et que nous rentrons à Papeete.                                                                                                                                    Le De Grasse nous dit « Venez à Hao ». Un atterrissage de nuit sous la pluie avec une panne hydraulique sur un terrain que l’équipage ne connaissait pas n’est pas chose facile.

Il n’y  avait  pas d’urgence absolue à se poser. La procédure dit « déroutement vers le 1er terrain praticable » et non « atterrissage aussi vite que possible ». Mais 2h30 de vol dans le Pacifique Sud avant de rejoindre Hao c’est long, très long, en espérant qu’aucune autre panne ne vienne empirer la situation.

C’est donc avec une certaine angoisse que s’effectue le déroutement. Une panne n’est que rarement fatale si on a le temps de réagir. Le problème est qu’il faut se poser rapidement avant qu’un autre ennui n’arrive car cela peut devenir très, très critique … Cet impératif n’est pas évident dans le Pacific Sud … Ce n’est pas prévu.

Tout se passe pourtant heureusement bien grâce à la bonne entente dans l’équipage, à l’application des procédures et surtout à l’anticipation des actions futures. Aucun problème en vol ; les problèmes n’apparaîtront qu’à l’atterrissage. Les moteurs tournent rond, les gouvernes fonctionnent ainsi que le pilote automatique.

Après avoir tourné le « dash-one et les check-lists » dans tous les sens, après avoir exécuté les manœuvres de secours qui nous permettent de récupérer certains éléments du circuit « la bête redevient plus docile ».

 

. Et puis brutalement tout change. Les turbulences sont toujours présentes et le pilote automatique se désengage inopinément mettant l’avion en mauvaise position. Mais les pilotes prennent parfaitement les choses en mains.

 . Nouvel incident. Je fais un fix astro. L’ORV qui visait une étoile signale que l’avion est fortement incliné par rapport à l’horizon. Nous avions certainement un déclenchement du dutch roll dans cette atmosphère de forte turbulence.

Excellente réaction des pilotes qui ont amorti le roulis qui allait s’amplifier très vite si nous n’avions pas fait une position astro. L’avion est très vite redevenu contrôlable. RAS par suite.

 

. Malgré nos appels, plus aucun contact radio  pendant un long moment. Et ces minutes d’attente sont très longues et très angoissantes dans le Pacifique Sud, loin de toute terre, surtout lorsque l’équipage se bat pour conserver le contrôle de l’avion.

Alors, j’appelle le De Grasse « MAYDAY, MAYDAY, MAYDAY ». Et là, branlement de combat ; tout le monde se réveille. Le terrain de Hao étant fermé la nuit, je demande si le nécessaire a été fait : balisage de la piste, véhicules de secours, tour de contrôle, moyens de radio navigation, mécaniciens de piste …

Rappel peu de temps après. Tout le monde est prévenu et la piste sera prête à notre arrivée. Le radar ne sera pas en fonctionnement.

Il aura fallu un appel au secours pour établir une conversation avec le sol. Je répète que les contacts

sont très importants pour libérer le stress.

 

. Tout n’a pas encore était dit. Il y avait à bord un jeune mécanicien hydraulique. Pris de panique il venait dans la cabine en hurlant « C’est la fin », «  On va se tuer » …

Finalement, je l’ai un peu rudoyé en le priant de nous fiche la paix dans la cabine et d’aller dormir sur une civière.

A l’arrivée à Mont-de-Marsan, il  voulait poser sa démission de l’Armée et ne plus monter dans un avion. L’a-t-il fait ?

 

. L’heure de l’atterrissage approche. Se poser la nuit sous la bruine sur un terrain qu’on ne connait pas en l’absence             . des volets

                                   . des aérofreins

                                   . des freins pilote    mais avec les freins de secours copilote

avec en plus la fatigue du pilotage à la main pendant 2h dans une atmosphère turbulente n’est pas aisée.

L’absence de roulette de nez n’est qu’accessoire.

L’approche est assez plate et directe face au parking en passant près du village d’OTEPA.

L’atterrissage est parfait. Le copilote met juste la pression sur les freins pour ne pas bloquer les roues.

Tout est parfait.

L’avion est arrêté en bout de piste car pas de roulette de nez pour aller au parking.

L’atterrissage de précaution en situation dégradée de nuit par une météo mitigée sur une île du bout du monde inconnue est une parfaite réussite. Chapeau les pilotes !

 

. Fin de la mission. Je me souviens très bien qu’après l’arrêt des moteurs et la descente sur la terre ferme, le pilote s’est allongé sur le béton pour décompresser. Si je me souviens bien, je lui ai dit        « Ne t’en fais pas ; tout s’est bien passé ; toutes mes félicitations » et il m’a répondu « Oui, mais c’est maintenant que les emmerdes vont commencer ».

Cela ne s’est pas avéré. Je n’ai pas fait de compte-rendu car personne ne me l’a demandé. L’incident a été traité comme une simple panne du système hydraulique. La réparation a été effectuée ; nous avons repris l’avion le lendemain et les missions météo ont recommencé sans aucun incident.

J’ai retrouvé les notes que j’avais prises pour rédiger un éventuel compte-rendu. Je m’en sers aujourd’hui pour relater un incident vieux de 45 ans !         

 

Conclusion :

. Une panne hydraulique ne gêne absolument pas le vol.

. On s’aperçoit de l’importance du pilote automatique quand celui-ci ne fonctionne plus. Et là, le pilote doit contrôler en permanence l’avion. La moindre inattention, en particulier en zone turbulente, peut entraîner l’avion dans un dutch-roll qui peut aller en s’amplifiant. C’est ce qui a failli nous arriver.

. Voler de nuit dans le Pacifique Sud avec des ennuis techniques pendant 2h30 sans voir la terre, est très angoissant. Le fait de parler avec le sol est très décontractant, élimine le stress et on oublie les problèmes. Le De Grasse ne l’a compris que lorsque j’ai lancé «  Mayday ».

. J’ai beaucoup d’admiration pour les pilotes qui ont tenu manuellement et avec succès le C135F pendant environ 2h en zone turbulente. C’est épuisant physiquement et moralement car tout repose sur le pilotage humain.

. Et on pense en permanence à l’atterrissage avec l’absence de moyens importants comme les volets et les aérofreins.

. Une situation de panne nécessite de la part des pilotes le calme, la parfaite connaissance des procédures et une parfaite maîtrise de l’avion. La  formation des équipages en situation critique est essentielle. Et la cohésion de l’équipage doit être exemplaire. De la rigueur, de la rigueur, toujours de la rigueur et de la discipline !

 

 

Texte rédigé par le Colonel Guy Naillon avec l’aide du Capitaine Raymond Roux