Ma vie a commencé le 19 janvier 1969

Par Gilbert Béziat, Pistard C135

Je viens de sortir Sergent de la BE 721 de Rochefort et grâce à un bon classement, j’ai pu choisir mon affectation.
ERV 4/93 – BA 125 – ISTRES ???
Mon choix est surtout guidé par l’attrait du sud et lorsque je demande des renseignements à mon chef de promotion il me répond : « C’est un escadron de ravitaillement, c’est tout nouveau …... »……..
Merci pour les renseignements, c’est trop sympa !!!!!
C’est ainsi que je me retrouve en gare d’Istres, chargé comme un mulet, avec ma cantine en métal vert et mon sac marin, pleins à ras bord que je laisse en consigne.
Je sors de la gare et demande mon chemin à un charmant grand-père qui passe par là.
« C’est tout près, petit !! Tu passes le passage à niveau sur ta gauche et c’est tout droit !! »
Me voilà donc parti à pied, sous un pâle soleil d’hiver et un froid mistral qui traverse ma capote pourtant épaisse.
Je quitte les dernières maisons de la ville et je découvre devant moi une route qui n’en finit pas de se dérouler sous mes pieds à travers la Crau balayée par le vent.
Une légère appréhension me saisit, mais comme c’est la seule route existante, je continue d’avancer.
Une bonne demi-heure plus tard, je vois enfin poindre les couleurs de notre drapeau et une entrée que je soupçonne être celle de la base. Bingo !!
Je me présente à l’adjudant de semaine qui, avec cordialité me souhaite la bienvenue et met spontanément à ma disposition une voiture pour récupérer mes affaires restées en gare d’Istres. Affaire réglée en un tour de main.
Nous remplissons ensuite les documents contractuels et il me dirige vers mon unité.
Je parcours l’itinéraire qui me conduit au PC base, je passe ensuite devant un énorme bâtiment qui s’avèrera être le Germas 15090 et je poursuis mon périple jusqu’à l’entrée de l’escadron ERV 4/93.
Barbelés, miradors, sas d’entrée, commandos patibulaires……………mais ou suis-je ??? Je suis un peu déboussolé et surtout très inquiet lorsque j’aperçois émergeant au-dessus des bâtiments d’énormes dérives grises dont je ne sais pas sur quoi elles reposent.
Muni d’un badge temporaire, le planton de service me dirige vers la piste ou je dois être affecté en tant que mécanicien cellule-hydraulique 51-27.
Au détour du bâtiment qui semble être le PC, mes yeux découvrent ébahis 3 immenses appareils gris métallisés, immobiles, posés sur leurs trains, semblables à des cétacés en attente d’on ne sait quelle proie.
Sur ma gauche 2 Mirages IV étincelants sous le soleil. Ceux là, je connais, pour en avoir vu en photos et surtout pour en avoir entendu parler comme du fleuron de l’armée de l’air et surtout comme vecteur de la bombe atomique.
D’ailleurs tous les majors de promotions se faisaient une gloire de choisir un escadron de « pointus » pour débuter leur carrière. Honte à moi !!!!

Me voilà devant le bureau de piste qui grouille de mécanos en treillis. J’ai l’air fin avec ma tenue de sortie et surtout pas repérable. Je vois des regards goguenards et des sourires pleins de sous-entendus. La nouvelle de mon arrivée a dû me précéder car un sergent-chef que je salue règlementairement (cqfd) me dirige dans un minuscule couloir devant la porte du bureau du « Chef de piste ».

 

Il frappe. Un aboiement lui répond et il m’introduit dans le bureau. Mes jambes flageolent, ma gorge est sèche, mes mains sont moites et ma casquette enserre mon cerveau prêt à éclater.

 

Dans un garde-à-vous impeccable, je salue et me présente énumérant péniblement mes grade, nom, prénom et numéro matricule, sans oublier l’obligatoire « A vos ordres mon adjudant-chef ! »
On me souhaite la bienvenue, et séance tenante, l’adjudant-chef sort du tiroir de son bureau 2 verres d’une saleté repoussante et une bouteille de vin rouge qui n’a pas dû voir un frigo depuis bien longtemps. Il rempli les 2 verres à ras-bord et me tendant l’un, il se lève avec l’autre dans sa main : « On trinque jeune !! Bienvenue parmi nous sur C135F, escadron de ravitaillement Aunis !! »
Je m’apprête hardiment à boire, un nœud au creux de l’estomac, mais il m’arrête dans un tonitruant éclat de rire : « C’est bon je vois que tu as du cran sergent, mais on n’ira pas plus loin, je n’ai pas envie que tu sois malade !! » Il contourne son bureau et vient accrocher à ma veste l’écusson de l’escadron : une perdrix d’or sur fond rouge flamboyant que je vais porter fièrement pendant 12 ans.
En sortant du bureau je suis entouré par tous les mécanos qui me congratulent et l’un d’eux prénommé François me glisse à l’oreille : « Hé gamin, tu peux dire que tu es bien tombé, tu ne vas pas le regretter ! »
Oh bon dieu, comme il avait raison !!!!
Viennent ensuite les présentations au commandant d’escadron, à l’officier mécanicien, aux chefs des différents services, puis retour en piste ou je fais la connaissance de tous les mécanos avec qui je vais partager désormais la vie dont je rêvais depuis tout jeune.

L’après-midi, j’ai droit à la visite de la « bête ». En montant les marches de l’escabeau d’accès à la porte cargo, une foule de sentiments se mélangent en moi : appréhension, curiosité, fierté,……. Je suis ébahi, mes yeux et mes oreilles ne sont pas assez grands pour tout voir et tout entendre des explications que l’on me donne.
Je peux dire que la nuit suivante fût courte, je n’arrivais pas à trouver le sommeil et les premières lueurs du jour me trouvèrent éveillé, prêt pour la grande aventure.

Puis, il y eut l’EETIS de 2 mois, au GERMAS 15090, qui me plongea dans les entrailles du C135F que je découvris avec enthousiasme et crainte de ne pas être à la hauteur pour ingurgiter toutes les connaissances qui nous furent enseignées. Le plus dur étant bien sûr, d’apprendre que toute la documentation technique (les fameux TO) est en américain !!!! Oups !!!!!

De retour en piste je réalise enfin mon rêve : voler sur la « bête »….la « péniche » !!
Le 2 mai 1969, je prends place à bord du C135F N° 475 pour une mission Y351 de 5 heures, piloté par le Capitaine CHATELIER.

Tous les mots que je pourrais écrire ne seraient pas assez forts pour expliquer mon état !! De l’essayage du parachute, du masque à oxygène, du casque en passant par les consignes de sécurité, la présentation des issues de secours par l’ORV, tout me paraît irréel, surréaliste,…..je flotte sur un nuage.
Et que dire du décollage dans un bruit d’enfer qui me colle au siège, de la visite du poste de pilotage en place arrière, le Head-set sur les oreilles, de la visite du compartiment ORV, à plat ventre, les yeux écarquillés lorsque s’ouvre la trappe arrière et que l’on découvre notre bonne vieille terre.

 

Par la suite, j’ai toujours éprouvé la même ferveur à voler.
Première mission à Dakar en novembre 1970, suivi de bien d’autres Plattsburgh, March, Faaa, Pointe à Pitre, Solenzara, Marham, Andrew, Bagotville, Djibouti, La Réunion, Chicoutimi, Lisbonne, Libreville, Athènes, Karachi, Urumchi, Las Palmas, Abidjan, N’Djaména, Rio de Janeiro, Wichita, Cayenne, Bangui, Casablanca : 1573 heures d’un plaisir jamais inaltéré.

Après Istres, ce fut Avord « Sologne » ou j’officiais pendant 6 ans ½ comme sous-chef de piste et chef de piste.
Entre stage BS, cadre de maîtrise, stage d’anglais, stage CFM, stage CND, j’ai « usé » 12 commandants d’escadrons, tous très présents dans mes souvenirs, même si certains nous ont malheureusement quittés pour toujours.

Et enfin, 2 ans ½ au GERMAS 15093, chef d’atelier hydraulique-carburant puis Equipe technique. Autre lieu, autre vie plus sédentaire qui me poussera à prendre ma retraite en mars 1990.

Mon dieu que c’est loin et proche à la fois, que de souvenirs engrangés, que d’anecdotes et de belles histoires à raconter aux enfants et petits enfants.
Que de galères aussi, des nuits sans sommeil, des alertes à répétition, des dépannages de folie, sous la pluie, dans le froid, sous un soleil de plomb, mais toujours avec la même détermination, la même rage, la même envie, le même plaisir.
Quelle satisfaction de voir voler cet énorme oiseau et le voir revenir avec une F11 RAS !!

Et puis, chose énorme et réconfortante, lire dans les yeux des équipages cette confiance de tous les instants pour notre travail de mécaniciens.
Cette convivialité dans les échanges équipages-mécanos se concrétisait surtout lors des longs détachements effectués en Afrique, ou pendant 45 jours, nous vivions côte à côte 24 h/24.
Au-delà de la mission et de ses exigences, le soir venu, des apéros géants, des repas gargantuesques venaient souder tout le groupe. Et j’ai vu souvent de l’envie dans les yeux des mécanos des autres détachements de la chasse, chez lesquels il n’en était pas toujours de même.
Des liens indéfectibles se sont créés, et encore aujourd’hui, nous avons le même plaisir à nous contacter, nous rencontrer pour refaire encore une fois le monde et l’armée de l’air en particulier.

Les familles, bien que souvent orphelines du chef de famille, n’étaient pas en reste et se joignaient à des festivités inter unité : bals, arbre de noël, galette des rois…..
Et souvent encore aujourd’hui, mes enfants me parlent avec plaisir de cette vie « d’un autre monde » !!!

Point d’orgue de cette fraternité unique pour moi, l’hommage rendu le 27 août 2009 à nos disparus d’HAO sur la base d’Istres à l’initiative du colonel Claude BRUNET.
L’inauguration de la stèle reste un souvenir fort et poignant.
Merci mon colonel vous avez par ce geste honoré « la grande famille » des C135 F et FR dans une communion qui en dit long sur notre passé.