La vraie mission des défenses antimissiles:
intégration politique plus qu’assurance militaire

L’analyse d’Arnaud de LaGrange**CorresponcÀant défense du Figaro.

«La France
s’intéresse surtout
aux antimissiles
“de théâtre”,
destinés à protéger
des forces projetées à l’extérieur»

Comme souvent pour comprendre le moteur d’une grande ambition, il faut plonger dans les racines culturelles, les ressorts psychologiques d’un homme ou d’un peuple. Le projet de défense antimissile américain ne déroge pas à la règle.
Bien plus qu’un outil militaire, bien au-delà d’un concept stratégique, le "bouclier", voulu par Washington répond à une vision quasi philosophique de la sécurité totale dont doit jouir l’Amérique, son territoire et sa population. Outre-Atlantique, l’idée même d’une quelconque vulnérabilité est insupportable.
Comme le rappelle Bruno Tertrais, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (ERS), «même l’idée de “destruction mutuelle assurée” (MAD) sur laquelle reposait la dissuasion pendant la guerre froide n’a jamais été totalement acceptée par une partie de l’élite américaine». Tout pays déclenchant une attaque nucléaire sur un pays adverse signait son arrêt de mort, le pays cible ripostant de la même manière. «La défense antimissiles est un thème extrêmement populaire et fédérateur dans l’opinion publique américaine”, poursuit Tertrais. Une mobilisation qui explique les milliar4s de dollars dépensés chaque année pour des systèmes à l’efficacité pourtant douteuse.
La deuxième raison, qui laisse présager une longue vie pour les antimissiles, c’est l’affirmation d’un vrai défi stratégique- Le «couple infernal» du XXI eme siècle sera sans doute celui du balistique et de l’atome. La course au nucléaire semble inéluctable. Mais une arme, c’est une charge et un vecteur. Et, parallèlement, on assiste à une autre marche forcée, vers les missiles balistiques. Bien sûr, la menace n’est pas immédiate. L’iran ne dispose pas de missile d’une allonge supérieure à 2000 kilomètres.

Mais les Américains estiment que Téhéran - aidé par la Corée du Nord - pourrait posséder avant 2015 des missiles intercontinentaux capables de toucher leur territoire. Et, avant cela, d’engins de portée intermédiaire pouvant frapper l’Europe. Les Nord-Coréens, eux, ont déjà fait voler un missile au-dessus de l’archipel japonais.
De la même façon que les trains rouleront toujours plus vite à l’avenir, l’on sait que les missiles iront toujours plus loin. Et Washington n’entend pas avancer plus lentement que l’Iran d’Ahmadinejad.
Sans s’affronter totalement, deux visions stratégiques se juxtaposent aujourd’hui. Celle des États-Unis, et celle de pays européens comme la France. Avec sa «guerre des étoiles » et des armes déployées jusque dans l’espace, Ronald Reagan voulait rendre les armes nucléaires obsolètes. Aujourd’hui, les ambitions ont été revues à la baisse, mais, face à une salve limitée lancée par un chef d’État «voyou», le président des Etats-Unis veut dispôser d’options autres que les représailles nucléaires. « En poussant plus loin. de.s idées existantes, (‘Administration Bush a formalisé une conception globale de la dissuasion, explique Bruno Tertrais, avec des forces offensives (les armes nucléaires) et des forces défensives. d’interception (les antimissiles). »

À la fin desannées 9O, Ia France s’est vivement opposée aux projets américains de défense antimissile, susceptibles d’affaiblir la dissuasion. Mais le discours de Jacques Chirac à l’île Longue, en janvier 2006, a montré une évolution sensible, avec l’évocation d’une « complémentarité” entre défense antimissile et dissuasion. Paris s’intéresse surtout aux antimissiles "de théâtre”, destinés à protéger des forces projetées à l’extérieur.
Mais la France est aussi partie prenante à des études plus larges menées dans le cadre de l’otan. Le problème est autant politique que financier. Depuis les années 50, les États-Unis ont dépensé plus de 170 milliards de dollars pour leurs projets antimissiles, et l’on voit mal l’Europe aux budgets de défense asthéniques suivre.

L’Amérique restera leader, donc en possession des clés du système, ce qui pose des problèmes de souveraineté pour des Etats qui souhaitent rester maîtres de leur défense aérienne, y compris son extension antimissile. En Asie (avec l’allié japonais) comme en Europe, les projets américains sont d'ailleurs de formidables outils d’intégration politique. Et. à l’évidence, le dispositif enrôlant la Pologne et la République tchèque n’est pas un plus pour la défense européenne...
La France a compris que ces projets antimissiles ne sont pas prêts d’être enterrés, que les Républicains ou les Démocrates occupent la Maison-Blanche. Même si elle considère que ces technologies ne sont pas mûres, elle veut rester associée aux travaux alliés sur le sujet, tout en continuant à faire totalement confiance à la dissuasion. Et tentera de limiter les dégâts en Europe.

Avec Moscou, l’histoite n’est ainsi pas terminée. Au G8, Poutine a joué les bons garçons mais son chef de la diplomatie. Sergueï Lavrov, est passé derrière en réactivant un chantage embarrassant : obstruction sur le dossier iranien si Washington ne freine pas sur son bouclier.
En se pressant maladroitement sur une affaire non régie par l’urgence, Washington prend le risque de la confusion diplomatique. Afghanistan, lrak,lran, antimissiles: en ouvrant plusieurs fronts à la fois, George Bush ne se donne guère la possibilité de « terminer le travail» - selon soft expression - avant d’ouvrir un autre chantier.

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