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« Pilote de C 135F »

par le colonel Jean Houben

 

Après presque cinquante ans, il m'est difficile de raconter avec exactitude cette partie de ma carrière aéronautique.
Mes camarades de cette époque noteront peut-être des erreurs dans mon récit. Qu'ils ne m'en tiennent pas rigueur.

Comment cela a commencé.

Suite à des ennuis de vertèbres, j'avais du quitter le Vautour pour me refaire une santé au COTAM. Affecté au "Franche-Comté" j'y avais été reçu par des « Un chasseur, on va se le payer… tu vas en baver… copilote pendant dix ans… etc. » . En fait, tout s'est fort bien passé et ils ont été TR È S sympas avec moi puisque j'ai pu enchaîner sans perdre de temps STT, SQT, SLL, CDB, LS (1) .

Dans le courant de l'année 1963, une note avait été diffusée dans les unités navigantes pour rechercher les pilotes, navigateurs et mécaniciens volontaires pour effectuer une transformation sur KC 135 aux USA. J'avais présenté ma candidature puis n'en avais plus entendu parler.

Effectuant une liaison boulevard Victor, pour je ne sais plus quelle raison, je suis passé voir le commandant Guillou, qui était en charge de la cellule coordination C 135 à l'Etat-major (BPM). Il me reçoit puis me dit : « Ah, c'est vous Houben » puis consultant ses notes, il ajoute « Vous faites partie de l'équipage n°6 et vous partez aux Etats-Unis en décembre » . Surprise. Très agréable surprise.

Dans le même équipage, avaient été également été sélectionnés le S/Lt Péchenard (pilote de chasse), le S/Lt Boberiether (navigateur) et l'Adj Bertel (mécanicien navigant).

Dans le courant de l'été je rejoins Rochefort où je retrouve, outre mes coéquipiers, ceux de l'équipage précédent (Lombard, Rognon, Tixier, Marani) pour effectuer un stage de langue anglaise censé nous préparer à notre séjour aux USA.

Joignant l'utile à l'agréable, j'avais installé ma femme et mes enfants dans un camping à Fouras.

En route vers l'Amérique.

Le 11 décembre 1963, nous embarquons à Orly pour New York sur un B707 d' Air France . Un ami pilote de ligne m'avait recommandé au commandant de bord qui m'a invité dans le cockpit pour le décollage et l'approche à NY. Premier contact avec un Boeing.

Après l'atterrissage, nous contemplons dans le lointain, les gratte-ciels de Manhattan, mais pas question de visite de la ville pour cette fois car nous devons, presque immédiatement, prendre une navette pour Washington DC, où nous sommes accueillis par un membre de la mission militaire.

Le lendemain, nous nous présentons au général Dorance, attaché de l'air, près l'Ambassade de France. Puis visite de la ville et du musée de la Smithstonian Institutution .

Le jour suivant un vol de la Braniff nous emmène à San Antonio (Texas) via Austin.

Lackland AFB

La base de Lackland est située à l'ouest de la ville de San Antonio (Texas), à proximité de la base de Randolph qui, elle, dispose d'une piste.

Elle dépend de l' Air Training Command et sa mission est l'instruction de différentes catégories de personnels de l'USAF, en particulier la langue anglaise, enseignée au sein de la Language School où nous sommes affectés.

Nous arrivons dans un pays en deuil, John Kennedy ayant été assassiné trois semaines auparavant. Dans nos rapports avec les gens de l'Air Force, nous constatons combien les Américains ont été choqués par la disparition de leur président.

Pour revenir à notre stage, il faut préciser que tous les stagiaires étrangers devant suivre un enseignement dans l'Air Force devaient passer par la Language School où leurs connaissances en anglais étaient contrôlées et, si nécessaire, améliorées.

À l'époque, nous étions de 49 nationalités différentes dans cette école. Dans notre cours, j'ai le souvenir d'un Vénézuélien et d'un Japonais.

Notre temps était partagé par demi-journées entre l'enseignement de l'anglo/américain particulier à l'Air Force, sous la conduite d'un retired colonel (2) de l'USAF, et de séances de lab où nous travaillions au magnétophone.

Pendant notre séjour, nous sommes convoqués à la Physiological Training Unit à Randolph où l'on contrôle notre aptitude au siège éjectable et où l'on nous fait passer un test de décompression au caisson.

Nous passons tristement Noël et le Jour de l'an loin de nos familles. Pour cette raison, j'ai gardé un très mauvais souvenir de mon passage à San Antonio.

En route vers la Californie

Nous prenons un vol San Antonio – Los Angeles.

À l'escale de Phoenix, des orangers surchargés de fruits devant l'aérogare. Certains s'y font prendre : elles sont amères !

Nous passons deux jours à Los Angeles, avec les visites classiques : Disney Land , Knott's Berry Farm, Sunset Boulevard (de jour et de nuit)… etc

Un matin, un avion d'une ligne régionale nous amène à Merced, où un car de la base nous attend.

Castle AFB

Cette base est située dans la San Joachim Valley à environ 170 km dans le SE de San Francisco.

Elle porte le nom du Brigadier General Frederick W. Castle , pilote de B17 descendu par la chasse allemande près de Liège le soir de Noël 1944.

Plusieurs unités du Strategic Air Command sont stationnées sur cette base, en particulier deux escadrons de transformation, un sur B52 et un autre sur KC135, le 4017th, auquel nous sommes affectés.

Péchenard, Boberiether et moi étions logés dans une villa. Malheureusement, faute de place, Bertel avait été exilé dans un autre bâtiment.

La base est immense. Nous la découvrons peu à peu, particulièrement les adresses utiles telles que mess, laundry (3) et particulièrement le BX (4) , qui recevra souvent notre visite, et où l'une des vendeuses parle français. (Elle avait appris lors d'un séjour à Evreux où son mari avait été affecté pendant plusieurs années).

Notre moniteur pilote était le Capt. Allan WALTERS. Il a fait une belle carrière : d'abord opérateur radio sur un patrouilleur des Coast-Guards , pilote dans l'USAF, sur KC 97 puis KC 135, pilote de marque du KC 10. Il terminera sa carrière comme commandant de la base de March . Gros avantage pour nous, il parlait un anglais très clair.

 

 

Deux autres instructeurs complétaient son équipe : un navigateur, le Capt. Sidney WEIMER, et un boom-operator (5) le TSGT Joe HAYS.

Nous avons commencé immédiatement l'instruction théorique, en compagnie de stagiaires américains, en provenance du KC97 pour la plupart. En général, les amphis étant suivis d'un test. Nos instructeurs étaient d'anciens navigants du SAC, certains ayant perdu leur aptitude médicale.

Il faut reconnaitre que nous avons été parfaitement instruits et aidés dans cette première phase de l'instruction. On ne nous a rien caché et il a toujours été répondu à nos questions. Nous avons pu même consulter (peut-être par erreur) des documents confidentiels du SAC concernant l'exécution des missions de guerre.

Parallèlement, des séances de simulateur étaient organisées pour les deux pilotes. La base de Castle ne s'arrêtant jamais, il nous est arrivé de faire du simulateur entre 1 h et 3 h du matin. ( É galement, j'ai obtenu un rendez-vous chez le dentiste à 23 h)

Puis les vols ont commencé.

Je me souviens encore du premier décollage le 10 mars 1963. Aligné sur la piste, je ne ressens aucune appréhension mais au contraire une grande joie intérieure et pense : enfin nous y voilà. Ce premier vol se passe bien, l'atterrissage aussi … les 3000 m . de la piste aidant.

Pour les deux pilotes, il n'y avait pas égalité de traitement : j'effectuais les trois quarts des sorties en place gauche, Allan étant bien sûr à droite. De ce fait, Péchenard n'était autorisé à tenir le manche que très rarement et s'en tirait néanmoins fort bien. Allan étant alors en place gauche, j'avais alors tout le loisir pour rejoindre les booms et assister aux rejointes et aux contacts des B52.

 

Les missions étaient de deux types.

- Navigation, rejointe puis ravitaillement en vol d'un ou de plusieurs avions, principalement des B52, sauf une fois où nous avons eu droit à des F105.

- Vols de navigation, de jour et de nuit, destinés uniquement à l'instruction de Boberiether et de Bertel.

Pendant ces vols de navigation, le travail était organisé comme suit et, par la suite en France, nous avons conservé cette méthode qui avait fait ses preuves.

Les visées au sextant étaient effectuées par le boom, qui transmettait ses mesures au navigateur. Recrutés parmi d'anciens mécaniciens-navigants, les booms suivaient donc un entraînement spécifique. Parfaitement adaptés à cette nouvelle tâche, ils étaient très jaloux de leurs prérogatives et ne laissaient que très rarement les navigateurs coller leur śil à la lorgnette .

 

Le navigateur préparait les éléments pour la visée : nom de l'astre, azimut, hauteur théorique. De nuit en particulier, trois visées étaient effectuées dans un court laps de temps, le navigateur calculant ensuite la position qui résultait de ces trois visées.

Il n'y avait pas à proprement parler de vol de tenue machine, les quelques exercices particuliers étant effectués à la fin du vol, lors du retour vers le terrain. Je pense en particulier à l'étude du dutch-roll (6) réputé délicat sur les KC 135 à dérive courte non encore équipés de la dérive longue, comme le furent nos C 135F .

Avant l'un de nos derniers vols, Allan me dit (Je traduis) « John, je veux que vous touchiez juste après l'entrée de bande et que vous dégagiez à la première bretelle, cela pourra vous être utile si vous devez un jour vous dérouter vers un terrain secondaire » Un coup d'śil au plan du terrain : cela faisait à peu près 1000 mètres !

À la fin du vol, et comme demandé, je touche juste à l'entrée de piste, réduis à fond, sort les AF et fais un maximum effort stop. Dégagement à la première bretelle sans problème…à mon grand étonnement.

Au parking, le C rew Chief (7) m'aborde, tenant à la main un carnet. (Je traduis toujours) Sir, vous avez éclaté deux pneus et cela va couter à l'Air Force … $ (Je ne me souviens plus du montant de la facture). Allan est intervenu et a confirmé que j'avais respecté la procédure et que l' anti-skid (8) avait certainement mal fonctionné.

Le 10 avril 1964, nous passons notre S tand Board (test final) qui dure 6 h 45.
À l'issue de ce vol, l'équipage est qualifié.

Notre équipage : Houben, Boberiether, Péchenard et Bertel (DR)

Au total, nous avons effectué 9 missions totalisant 58 h de vol dont 8 h 15 de nuit.

Le 12 avril, nous reprenons le chemin de la France.

 

•  STT : Stage de Transformation Transport (= Transfo N2501 à Orléans). SQT : Stage Qualification Transport (à Toulouse). SLL : Stage Largage Lourd (à Pau). CDB : qualification Cdt de bord. LS : Leader de Section.

•  Retired colonel : colonel en retraite

(3) Laundry : blanchisserie.

(4) BX (Base exchange) : grand magasin où l'on trouve de tout.

(5) Boom Operator = Boom = Boomer = ORV = Opérateur de Rvt en Vol.

(6) Dutch roll (roulis hollandais) : pour faire simple, couplage d'oscillations
en roulis et lacet.

(7) Crew Chief : chef mécanicien, le "patron" de l'avion.

(8) Anti-Skid : anti-patinage