LM 29-03-2017

 

Histoire du Ravitaillement en Vol dans l’Armée de l’Air

par le Colonel (er) Henri DIOUDONNAT

 

Alors que l’on a commémoré en 2014 le 50° Anniversaire de la naissance des FAS, le document consacré à l’Histoire du Ravitaillement en Vol dans l’Armée de l’Air, rédigé par le Colonel (er) Henri Dioudonnat, arrivait à point nommé pour combler une lacune.

Officier mécanicien, EMA 1945, le Commandant Dioudonnat a été le premier commandant du GERMAS  de 1963 à 1967, après avoir été dès 1962 l’un des tout premiers pionniers de cette exaltante aventure humaine.

 

Ce document est unique, il est précieux  

Il est remarquable de précision, et l’esprit qui s’en dégage : motivation, compétence, efficacité  … nous a animés, nous, les « anciens », qui avons vu naître ces belles unités et qui tenons absolument à en laisser une trace pour nos « jeunes » …

Il donne à « la Mécanique » la place qui lui revient.

Bien des années ont passé depuis les origines, mais la flamme ne s’est jamais éteinte, nous le savons bien, nous en avons des preuves tous les jours.

 

Les quelques pages qui suivent vont essayer modestement de faire en partie la synthèse de ce document. Elles évoquent la période d’origine et de démarrage, de 1962 à 1967, année du départ du Lieutenant-colonel Dioudonnat et de son remplacement par le Commandant Sandillon le 6 octobre 1967.

 

                                                       

Un bref historique

 

Au cours des années 1950-1960, notre pays reconstituait ses forces armées, l’Armée de l’Air en particulier.

Dans la situation géopolitique de l’époque, notre appartenance à l’OTAN privait la France de sa souveraineté dans l’utilisation éventuelle de la force nucléaire naissante.

La décision prise au plus haut niveau de doter la France d’une force de dissuasion indépendante impliquait pour l’Armée de l’Air, évidemment partie prenante, des choix décisifs.

 

La mise au point de l’arme nucléaire et de son vecteur, le Mirage IV, avançait à grands pas. Mais du fait de sa taille, le Mirage IV, malgré ses indéniables qualités, n’avait pas l’ « allonge » suffisante pour mener à bien sa mission, il fallait donc le ravitailler en vol.

Le choix du « ravitailleur » s’est porté sur le « tanker » américain de Boeing, le KC135, dont l’US Air Force mettait en ligne quelques centaines d’exemplaires et qui avait fait largement ses preuves.

 

Dès le 20 septembre 1962, une Délégation française était constituée pour aller négocier aux Etats-Unis l’achat envisagé.

Le Général Guernon en était le chef et les grands services de l’Etat concernés, les principales Directions de l’Armée de l’Air, la Compagnie nationale Air France, étaient mobilisés.

Le Commandant GUILLOU, pilote, le Commandant DIOUDONNAT, mécanicien

                                                                                              ,

 et le Capitaine Couturou, télémécanicien, faisaient partie de la Délégation.

 

L’avion choisi serait une version francisée du  KC135, le C135F, capable des trois missions assurées dans l’USAF par des versions différentes de l’avion : ravitaillement, transport de matériels, transport de personnels.

La décision de commander 12 avions était prise et l’Armée de l’Air devrait, par ses propres moyens, maintenir opérationnels, 24 heures sur 24, 10 avions sur les 12 commandés.

Les choix étant faits, les options prises, il fallait désormais « animer » cette nouvelle aventure, où tout ou presque était à inventer.

 

Il fallait recruter les personnels, les former, définir les conditions de mise en œuvre et de maintenance des avions, organiser les services techniques, prévoir les infrastructures nécessaires …

 

A l’automne de 1962, la tâche qui attend le Commandant Guillou, à qui l’Etat-major vient de la confier, est écrasante.

Il lui faut s’entourer d’une équipe.  Il propose au Commandant Dioudonnat d’être « le mécano » de l’équipe et obtient bien entendu très vite son accord enthousiaste.

Cette équipe s’étoffe rapidement : au Capitaine Couturou, déjà présent, se joignent deux pilotes, le Commandant Plessier, polytechnicien, et le Capitaine Cuenot, un navigateur, le Capitaine Chevassus-Clément, un opérateur de ravitaillement en vol, l’Adjudant Honoré.

A compter du 20 novembre 1962 cette équipe s’installe au BPM (Bureau des Programmes de Matériels) de l’EMAA.

 

Dès lors, rien ne doit être laissé au hasard. La décision de procéder à des essais de ravitaillement en vraie grandeur est prise, avec les Mirage IV numéros 01 et 02 dont la mise au point le permet. Le 28 novembre 1962 les essais ont lieu au CEV d’Istres avec un KC135 venant d’Allemagne

.


                                                                                              KC135 USAF Mirage IV


 

Le Commandant Dioudonnat, présent à bord du ravitailleur, est témoin de la parfaite réussite de l’opération.

 

En mai 1963, une deuxième visite aux Etats-Unis permet de visiter des bases du Strategic Air Command  et l’usine de l’avionneur Boeing.

Une attention toute particulière est apportée à l’organisation américaine de la maintenance, avec les équivalents de nos 1° et 2° échelons, la « flight line » et la « field maintenance ».

Le 30 août 1963 l’équipe quitte le BPM et s’installe à Istres dans des locaux provisoires, qui le resteront longtemps …

 

A l’automne 1963 commencent à arriver à Istres, outre certains équipages, bon nombre de mécaniciens, après un stage d’anglais à Rochefort pour certains.

Le premier avion, le 471, arrive le 3 février 1964, puis sont arrivés ensuite un avion par mois jusqu’en juillet et deux avions par mois jusqu’en octobre.

L’action déterminante du Commandant GUILLOU a permis que le convoyage depuis Seattle soit assuré par des équipages français.

 

 

L’organisation, l’installation à Istres

 

Les Bases aériennes d’Avord, Istres et Mont-de-Marsan avaient été choisies pour recevoir les C135F. La maintenance au 2° échelon serait assurée à Istres par le GERMAS 15/090 rattaché dans un premier temps à la 90° Escadre de Ravitaillement en Vol.

Le Département technique de la Compagnie nationale Air France basé à Orly assurerait l’entretien majeur et les grosses réparations. Plusieurs techniciens d’Air France seraient pendant quelques temps intégrés aux équipes du GERMAS.

 

 

La documentation technique, les « technical orders » (les T.O….), concernant tous les éléments de l’avion et tous ses équipements, comprenant plusieurs milliers de volumes, ne serait pas traduite. Les équipages et les mécaniciens suivraient des stages d’anglais sur la Base Ecole de Rochefort ou aux Etats-Unis pour certains.

Pour l’instruction des mécaniciens, un Mobile Training Detachment  (MTD) de l’USAF recouvrant toutes les spécialités serait mis en place à Istres pour plusieurs mois, sous les ordres du Captain Armstrong.

On doit ajouter que le soutien remarquable des aviateurs de l’USAF ne s’est jamais relâché et la coopération a été parfaite, que ce soit aux Etats-Unis à l’égard de la Délégation ou à Istres de la part des techniciens du MTD.

 

Pour le Commandant Dioudonnat, responsable de « la Mécanique », c’est une « longue marche » qui a déjà commencé au BPM : il a devant lui une page blanche où ne figurent que quelques mots :

personnels…,  matériels…, infrastructure, …  à lui de la remplr, dans chacun de ces domaines :

-les personnels

         - mise sur pied des Tableaux d’Effectifs des unités spécialisées, les équipes techniques des trois Escadrons et du pôle de maintenance 2° échelon.

Une grande partie des cadres sous-officiers provient des unités basées en Allemagne ou dans l’Est de la France équipées d’avions américains, comme le F84.

         - organisation des stages pour trois officiers et trente sept sous-officiers aux Etats-Unis, à Lackland,  Chanutte,  Amarillo, à Seattle chez Boeing. La cellule, les moteurs, les circuits, les équipements, sont étudiés pendant deux à trois mois selon le cas.

-les matériels

         -définition des dotations en matériels techniques de mise en œuvre et de maintenance, évaluation des besoins en rechanges pour une couverture de deux ans.

-l’infrastruture

         -organisation de la construction et définition de l’aménagement du pôle de maintenance d’Istres, définition des bancs d’essai spécifiques, suivi des travaux.

 

En ce qui concerne l’infrastructure, l’affaire du hangar du GERMAS, le futur HM28, a assez mal commencé :  l’EMAA envisageait d’installer un hangar de récupération venant de Tunisie …

Les efforts constants et déterminés de l’équipe en place ont fini par convaincre les décideurs que seul un hangar neuf correspondrait à l’efficacité désirée, et le hangar finalement retenu fut un hangar « de type CEV ».

Il sera inauguré le 1° avril 1965.

 

La Base d’Istres va accueillir la 90° ERV et les installations des Mirage IV.

C’est un bouleversement pour cette base au passé prestigieux mais dont l’activité aéronautique est à cette époque surtout marquée par la présence très importante des constructeurs et du Centre d’Essais en Vol, annexe de Brétigny. On sait que tous les prototypes fameux des années 50 ont volé à Istres.

Sur le plan militaire, l’Escale Aérienne est extrêmement active mais il n’y a pas sur la Base d’unité aérienne constituée. Avec l’Escale, le Centre d’instruction militaire et l’Escadron de transport routier régional sont les unités principales.

 

L’arrivée du C135F, avec ses contraintes de tous ordres, va entraîner le démarrage de très nombreux gros chantiers : tout est à revoir ou à créer, la piste, les chemins de roulement, les parkings, les aires d’alerte, les îlots opérationnels, l’infrastructure technique, l’alimentation en carburant, le dépôt des armes spéciales pour les Mirage IV, la base-vie avec de nouveaux logements et des mess …

Il faut souligner le total soutien des équipes du Service Spécial des Bases Aériennes et la parfaite coopération avec les ingénieurs et les techniciens de ce service pour résoudre les problèmes difficiles, ou tout simplement nouveaux, qui ne manquaient pas de se poser.

A titre d’exemple, sans parler des circuits d’oxygène, d’air comprimé, d’air déprimé qu’il fallait créer, on peut citer les besoins en distribution d’énergie électrique. Compte tenu des normes américaines, les ateliers devaient disposer de l’énergie électrique sous plusieurs formes : 127/220 volts et 220/380 en 50 hertz, 115/200 v en 400 hz, 115 v en 60 hz, 24 v en 60 hz, 28,5 v en courant continu …

 

Le commandement de l’Escadre et les éléments techniques étaient provisoirement installés dans les futurs locaux de l’Escadron Mirage IV, poste de commandement et hangar, et la première visite périodique de 100 heures du premier C135F vit l’avion le nez dans le hangar jusqu’au niveau des réacteurs, la queue dans le mistral. Souvenir marquant et un peu égoïste d’un « télec », les interventions sur le coupleur de l’antenne HF en haut de la dérive par temps de mistral …

Les soucis techniques divers ne manquaient pas, les ailettes des premiers étages des compresseurs étaient détériorées par les oiseaux de mer « avalés » au décollage ou en approche, le déplacement des avions sur les parkings était parfois problématique malgré la puissance du tracteur, certains matériels nécessaires à la mise en œuvre ou à la maintenance se faisaient attendre, l’utilisation des fameux T.O  américains donnait parfois lieu à de superbes contresens qu’il fallait bien vite corriger …

Mais la motivation, la cohésion des équipes, la compétence dont chacun à son niveau faisait preuve, venaient à bout de ces difficultés.

 

Mais c’est au plan humain que les problèmes se posaient avec le plus d’acuité. La séparation des familles durait depuis trop longtemps, la difficulté de se loger était un souci pour tous.

Sur ce plan-là la situation ne s’améliorera que bien plus tard avec la construction de la Cité de la Bayanne, aux portes de la Base.

 

Le régime de croisière…  les améliorations

 

Le GERMAS est devenu une unité à part entière et au fil des mois, installé dans « son » HM28, il est monté en puissance. Les installations correspondaient à ce dont avaient rêvé leurs concepteurs mais il y avait une foule de points de détail à améliorer.

La « prise en main » de la machine par les mécanos de plus en plus affinée permettait de répondre aux objectifs fixés par le commandement pour assurer la disponibilité opérationnelle des avions.

Les vols s’enchaînaient  jour et nuit, les équipages n’arrêtaient pas et les équipes de mécanos suivaient le rythme.

 

A partir de 1965 l’effort a porté sur la préparation des essais nucléaires dans le Pacifique, des mécaniciens étant détachés pour des durées variables à Hao en soutien du personnel des Escadrons.

Cette période a malheureusement été marquée par la perte d’un avion et de son équipage à la suite de la corrosion des ailettes des premiers étages des compresseurs. Même les spécialistes de l’USAF n’avaient pas connaissance de l’ampleur et des conséquences d’un tel phénomène.

 

En 1966 l’effort d’amélioration des installations a porté sur trois réalisations importantes : l’aire de lavage des avions, le banc d’essais réacteur et l’aire de compensation.

Parallèlement, l’évolution de la maintenance vers une simplification amenant un gain de temps était un souci permanent. L’analyse des procédures et des incidents a permis de faire évoluer le concept des visites périodiques vers la « VP Bloc » de 200 heures, avec immobilisation de l’avion ramenée à trois jours. La mise en service du banc d’essais réacteur permettait des visites intermédiaires.

La création d’un Central de maintenance en liaison permanente avec les équipages permettait aussi un gain de temps appréciable, les équipes spécialisées étant prêtes à recevoir tout avion en difficulté venant d’Avord ou de Mont-de-Marsan de jour comme de nuit.

 

La suite …

 

Les personnels en place actuellement connaissent les nombreuses améliorations apportées aux avions, opération « reskin », remotorisation, etc ….

Disons simplement que le 26 août 1985 le C135FR nouveau est arrivé à Istres lors d’une manifestation exceptionnelle présidée par le Général Capillon, chef d’Etat-major de l’Armée de l’Air.

 

Ces quelques mots qui vont suivre, extraits de l’hommage rendu alors par le CEMAA, serviront de conclusion à ces quelques pages, qui ont essayé de mettre l’accent sur la difficulté de la tâche au départ, sur la détermination de l’équipe d’origine pour faire aboutir le projet dans les meilleures conditions, sur l’esprit de corps et le total dévouement démontrés par les mécaniciens des Escadrons et du GERMAS en toutes circonstances.

« … la rigueur exceptionnelle, l’efficacité, le bon sens et l’enthousiasme des mécaniciens … qui ont permis de réaliser à ce jour (1985) un total de 180 000 heures de vol dans des conditions de fiabilité et de sécurité exceptionnelles ».

 

Nous en sommes semble-t-il aujourd’hui à plus de 300 000 … 

 

Le futur …

 

Tout le monde attend le futur MRTT ..

 

                                                  * * * *

Note personnelle du rédacteur …

Les premiers officiers mécaniciens :

au GERMAS :

         Commandant Dioudonnat

         Capitaines Boivin, Couturou, Jaouen, Saunier

         Lieutenants Boyer, Cunin, Fontès, Repetto, Surcin  officier des Bases ravitailleur avant que cette spécialité revienne aux mécaniciens et, à Istres, à Simard,

en Escadrons :

         Lieutenants Cozic (à Avord),Trouchaud (à Mont-de-Marsan), Vanucci (à Istres)

après ,  sont partis :  Boivin, Couturou (pour le Cambodge), Cunin (en Angleterre, en coopération pour le Jaguar), Repetto (pour Djibouti), Simard (pour la retraite, bien méritée pour ce « vieux soldat »),

          sont arrivés, au GERMAS ou en Escadron :  le Commandant Sandillon, les Lieutenants Basset, Batailley, Cartiser, Charme, Galières, Grammagnat, Guemas, Lebris, … et j’en oublie sans doute.

Il y a eu des mutations entre Escadrons et GERMAS, certains sont revenus plus tard commander le GERMAS, … mais le rédacteur de ces lignes était parti
   
Jean Claude REPETTO